Quand les témoins refusent de témoigner

Les affaires reprennent, même si le rythme est décidément encore à la finition.

Sur place, le système des radiateurs hors-gel fonctionne et c'est heureux, car il gèle à pierre fendre et une belle couche de glace s'est formée sur la bâche recouvrant les big bags de sable. Au fond, dans la vallée, les gravières sont aussi gelées et devraient pouvoir supporter des patineurs téméraires. Ils déchargent les achats de matériel et divers outils qui méritaient un remplacement comme la bulle du niveau ou des rosaces plus fines pour la douche.

Pendant que R s'occupe de la tablette de la salle de bain, qu'il faut bien poncer avant de la vernir au vitrifiant, G prend en charge le placo terrible. Ce panneau remis, replâtré et repeint continue de chicaner les ouvriers. La peinture ne tient pas et, par endroits, même le plâtre se décolle de sorte que les ouvriers eux ne décolèrent pas. Alors, aux grands maux, les grands remèdes. G ponce toute la surface jusqu'à faire disparaître toute aspérité.

Vers 10h00, ils entendent frapper à la porte, et G pense retrouver la famille de vétérinaires ou des amis sympathiques en visite surprise, mais ne voilà-t-il pas qu'il s'agit de colporteurs de foi périmée, de lecteurs assidus de la bible, de chrétiens des sources, de messagers en mal d'évangile, de missionnaires en extase, en bref de témoins de J. C'est une petite famille composée du père, de l'épouse et du fils, que G regarde avec toute la commisération dont il dispose. G se sait depuis longtemps damné par l'Éternel à brûler dans le 9ème cercle et à y grignoter des crânes en compagnie du comte Ugolino. Il sent donc monter en lui un grand besoin de saintes paroles réconfortantes sur l'au-delà et les invite à rentrer. Il s'empresse naturellement de les photographier et leur propose un enrichissant débat filmé sur la date exacte d'Armagedon. G aimerait aussi s'enquérir des possibilités de faire partie des 144'000 oints sans avoir à faire la queue, par exemple en achetant un billet VIP, ou l'équivalent d'une carte cumulus.

Mais serait-ce l'odeur de vitrifiant où l'aspect encore inhospitalier de la maison, la brave famille chrétienne prend ses jambes à son cou en faisant le signe de la croix pour trouver refuge chez des voisins plus réceptifs aux vibrements de la parole de J.
"-Cette prédication ne compte pas pour votre salut!" leur lance-t-il en espérant les faire revenir. Il reste gros jean devant et se sent même vexé de voir son propre salut sombrer à jamais dans les profondeurs de l'enfer. Il ne lui reste plus qu'à espérer que les crânes qu'il devra ronger en compagnie du comte auront été préalablement bien rasés. En effet, s'il y a bien une chose qu'il ne supporte pas, c'est les cheveux dans la soupe.

"Tu ne crains donc pas leurs prières?" s'étonne R. "Non que non," assure G. "J'ai été chrétien dans ma tendre jeunesse et c'est pas faute d'avoir essayé ("-S'il te plaît Jésus, fais en sorte que je ne sois pas racketté à la récré, ...(...) Et puis, s'il pouvait ne pas y avoir de boudin demain à la cafétéria, allez s'te plait, qu'est-ce ça change pour toi? ...(...) Ne m'oublie pas Seigneur, il faut que je mette un but une fois dans ma vie, tout de même, ce serait justice, ...(...), Notre Père, qui est au cieux, que ton nom, bla-bla bla-bla, on est d'accord, cette fille m'a bien regardé dans les yeux, c'est de l'amour, fais, je t'en supplie, qu'elle m'adresse la parole, puis assez vite après, me viole sauvagement, ... (...), Seigneur, tu écoutes? J'ai 23 ans et je suis toujours puceau!", etc., etc.). Je parle en connaissance de cause et puis t'affirmer sans ambages que si effectivement la prière est un des plus anciens outils de management, il ne fait plus du tout l'unanimité dans les écoles de gestion, parce que finalement, ce n'est pas très efficace. Certaines écoles de pensée vont jusqu'à dire que ça ne marche pas du tout, mais ce sont des extrémistes. Dorénavant, on utilise les matrices SWOT et la gestion des risques. C'est tout aussi inefficace, mais ça sonne résolument moderne."

La planchette est joliment poncée et vitrifiée. L'effet est saisissant. Auparavant, tant R que G étaient sceptiques, mais l'ancien bois donne à voir un relief et une teinte inégalable par du bois jeune. La salle de bain est donc équipée d'un reste du plancher de la grange, un bout de bois du 19ème siècle! Côté chambre à coucher, le plat règne sur le placo qui peut recevoir une nouvelle couche de moltofil et qui remplacera avantageusement l'autre plâtre de piètre qualité.

Vers 11h30, ils décident que la déchèterie mérite une petite visite avant le déjeuner, qui sera frugal mais bien gras car constitué d'un copieux kebab entouré de frites.

L'après-midi est consacré à la pose de plinthes. Pour des raisons encore peu claires, la fraise permettant de créer un logement conique pour les vis dans la plinthe a disparu. Ils ont beau chercher, la pièce ne ré-émergera pas et ils doivent se rabattre sur une fraise de calibre beaucoup plus gros. Ce travail n'est pas particulièrement pénible, mais il est en fait assez long, car il faut prendre les mesures, trouver le bon angle pour les coins, faire des trous dans le mur, et visser le tout. Par endroits, des jours laissent passer l'air de la cave, alors il faut couler un joint en mastic tout le long du mur.

La plinthe de la pièce no 1 doit également être terminée. C'est un peu délicat, car sur un bord, la plinthe ne fait qu'une dizaine de centimètres et aucune vis ne permet de la fixer sur le placo. Ils choisissent d'y adjoindre un peu de mastic.

Un segment de plinthe a cependant un vilain défaut: il est brisé sur environ 60 centimètres. Comme ils en ont besoin, de la colle à bois est appliquée pour la faire tenir. Côté chambre, ils appliquent une fine couche de moltofil dans le creux du placo pour que la peinture puisse être passée la fois suivante.

Et les autres rebords de fenêtre? R a débusqué dans le garage trois panneaux en noyer, recouverts de clous et de poussière mais qui ont la bonne dimension. Un essai est fait pour la pièce no 1. G dessine un chablon qui est reporté sur le bois pour la découpe. Une fois poncé finement et recouvert d'une couche de vitrifiant, la belle chaleur noble du noyer éclate au grand jour (même si la soirée est bien avancée).

Ils rentrent abrutis mais avec la satisfaction d'avoir fait avancer le schmilblick.

Sera-ce l'effet de la fatigue? N sera réveillée en pleine nuit par G hystérique, ruisselant de sueur et criant qu'il ne veut pas manger de cheveux.

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