Le Feu et la Fureur

E rapplique! Il a passé la soirée à regarder le match Suisse-Serbie au Pub en picolant force bières britanniques, et s'extasiant, lorsque la Serbie encaissait Suisse marquait un but. Suivant l'émotion et l'enthousiasme des buts libérateurs, il mime en dressant son majeur et en repliant ses autres doigts, la fleur de lys qui ornait le drapeau de la République de Bosnie-Herzégovine de sa jeunesse. E est-il un "vrai" Suisse? La question reste ouverte.

En chemin, E essaye de rameuter un ami Bosniaque, mais ce dernier semble encore bien enlacé dans les bras de Morphée, alors ce sera pour une autre fois.

Les Bragades commencent à se rendre utiles, même s'il s'agit pour l'instant essentiellement d'un hub de tri postal. R, dont les épaules n'ont plus vingt ans, a envoyé un colis pour alléger son fardeau, et le colis repose sur la marche de la porte d'entrée. Cette délivrance gravitationnelle lui permettra de franchir sans encombres le Col de la Croix du Bonhomme, dont G a reçu une photo via D.

Que faire? G énumère la liste des tâches simples et répétitives que les deux ouvriers peuvent réaliser sans faire appel à de grandes compétences d'ingénierie: couper les planches et poutres de la cabane pour débarrasser le terrain plus facilement, poser les dernières planches d'OSB dans le living, planter des piquets pour un palissage primaire et tuteurer les pieds de vigne laissés à l'abandon et retournés à l'état sauvage, charger la remorque et débarrasser les nombreux déchets qui encombrent le passage, etc...

E préfère continuer le travail entamé la semaine précédente. Alors, ils branchent la tronçonneuse et ils s'attaquent aux poutres et piliers. Mais l'assise n'est pas très stable. Ils tentent d'abord de poser les poutres sur des briques empilés, mais la stabilité n'est toujours pas au rendez-vous. Alors, E propose de faire quelque chose de sérieux. Ils prennent des piquets de bois qu'ils plantent croisés dans le sol et rendent solidaires avec du fil de fer. Ceci permet de bien caler les pièces de bois, et de le débiter à la chaîne. Parfois un petit investissement en temps, matériel et effort se voit récompensé d'un beau retour de gain de productivité.

Que faire de tout ce bois? Certains rondins propres et non traités feront un excellent appoint pour le chauffage. Certains bouts de bois contiennent de la peinture, du plastique ou ont été traités. Ils devront donc être amenés à la déchèterie. Mais il y a aussi une bonne partie, qui ne peut pas être stockée, soit qu'elle a été rongée par les vers et ressemble davantage à un sac de poussière, soit qu'elle est pleine de vis et de clous, de sorte que le transport ou le stockage sont compliqués. "Il faut les brûler!" dit E à G. "Mais je crois qu'on n'a pas le droit de faire des feux de jardin" lui explique G. Pour E, qui a passé son enfance en Bosnie à allumer et éteindre des feux tous les jours pour chauffer et cuisiner, cette interdiction est difficile à croire, encore moins à accepter. Avant même que G ait pu consulter la directive préfectorale sur les feux de jardin, E a déjà bouté le feu à un amas de bois qui commence à crépiter et envoyer de la fumée dans les airs. "J'espère qu'on ne nous voit pas!" dit G. Mais E l'emmène sur la route, et rien ne transparaît. Alors, G est rassuré, même si son voisin éleveur de bovins est en train de passer tout près avec son tracteur. Il semble cependant davantage préoccupé par la qualité de son épandage que par un possible barbecue chez les Suisses.

Parfois, la chaîne de la tronçonneuse sort de son guide, et il faut la remettre en place. Mais surtout, l'outil manque cruellement d'huile dans ses rouages. G cherche partout, mais ne trouve que de l'huile de moteur pour la tondeuse. Finalement, en cherchant bien sur les étagères, le flacon est démasqué et mis à contribution.

Tout est débité proprement! Il ne reste plus qu'à sélectionner les bons rondins et débarrasser ceux jugés de moins bonne qualité. Mais l'abri de la réserve de bois est devenu une vraie poubelle où se sont amassées toutes sortes de bouts de bois, de pierre et de bottes de paille. Ils décident alors de mettre un peu d'ordre. E, en connaisseur, examine le bois stocké et pose un diagnostic peu réjouissant. Le bois est très vieux et a été rongé par les vers. En d'autres mots, ça brûle mais très vite et n'a que peu de pouvoir calorifique... "C'est comme du carton! Et encore, le carton brûle plus longtemps."

Ils effectuent tout de même un triage des pièces de bois, débarrassent la paille et les pierres pour que la réserve ait meilleure allure. À midi, après avoir hésité pour faire de vraies grillades, G emmène E à l'aparté, où ce dernier commande un rumsteak bien cuit (mais qui sera servi saignant) et un coca-cola. "J'ai bu trop de bière hier soir" explique-t-il. G prend sa salade favorite aux gésiers de canard aromatisés au vinaigre de framboise.

L'après-midi, le soleil est haut et chaud, mais E n'a pas trop envie de s'enfermer dans le living. Il préfère débroussailler et exécuter quelques bambous. Il expérimente la coupe à la tronçonneuse, mais souvent la chaîne sort encore de son guide et les mouvements sont malaisés. "Il faut créer un passage et après ce sera plus facile pour couper."

Les bambous secs sont mis au feu et créent des mini-explosions très bruyantes. Les bambous verts sont débarrassés sur la bordure du terrain voisin et laissé à l'abandon par un propriétaire apparemment introuvable. C'est un travail éreintant car les bambous mesurent entre cinq et sept mètres avec des diamètres souvent supérieurs à cinq centimètres.

G qui n'en peut plus ordonne l'arrêt de cette tâche éprouvante. "Allons planter les piquets pour le palissage de la vigne" propose-t-il à E, tout content aussi de réduire l'effort sous cette chaleur. Les vignes sauvages s'étalent sur trois ou quatre mètres de diamètre et il faut au préalable identifier le pied, ce qui n'est guère aisé en raison des ronces qui s'entre-mêlent aux vignes. Finalement, ils parviennent à planter des anciens piquets de la barrière à coups de masse. E aura malencontreusement frappé son pouce, ce qui lui causera d'intenses douleurs. Une fois les piquets plantés, une petite bière bien méritée conclut la journée de travail.

Que faire du feu? "ça ne risque rien, ça va se consumer et s'éteindre tranquillement" dit E. "Mais tu peux asperger de l'eau dessus, si tu as peur" et G s'empresse d'arroser d'eau les braises pour éviter de devoir un jour dire "Je suis désolé pour ce que j'ai fait" et surtout devoir payer par exemple une amende de 36.618.330,24 dollars.

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