Le sens de la fête

Le samedi 2 juin est une journée chargée d'ambition. Il faut rendre la maison présentable, notamment sur sa façade et ses lieux d'aisance, mais aussi préparer la logistique de la soirée car une trentaine de personnes (15 selon la police) sont attendues pour célébrer dignement l'arrivée prochaine de l'été, des vacances (et partant la longue absence de R), la fin toute proche des gros travaux, et accessoirement l'anniversaire de G qui atteindra finalement sa majorité ouvrière.

La bonne nouvelle, c'est que G est de nouveau motorisé. Grâce aux conseils avisés de P, il a évité de se faire escroquer sur deux véhicules et a pu faire l'acquisition d'une Renault Espace, la fierté nationale française, à un prix très raisonnable.

Le véhicule est bourré d'électronique que G ne maitrise pas encore tout à fait et qui lui cause quelques angoisses, habitué qu'il est à celle très réduite de ses véhicules passés et qui se limitait à un auto-radio et un allume-cigare ("Mais tout ça c'est standard et de série dans toutes les bagnoles, Papa" lui expliquera sa fille M atterrée d'avoir un père aussi en retard sur le Progrès). Dans l'Espace, l'insonorisation est extrême et personne ne vous entend crier. On peut aussi produire une micro-climatisation de chaque côté de la navette selon le degré de frilosité des passagers et connecter son téléphone par dent bleue. Les phares et les essuie-glaces décident tous seuls quand il est opportun de travailler. Le frein à main n'est plus à main, mais automatiquement décrété par le véhicule. Enfin, il y a aussi un système auto-lock qui verrouille le véhicule dès que son conducteur s'en éloigne de plus de 2,50 mètres. Voici donc G et N embarqués dans le Hal 2.0, parés pour leur odyssée! La qualité majeure du véhicule reste cependant la boîte à vitesses automatique, qui permet à N de s'affranchir de son mari. "Sur le gravier et le sable, sur les courses oubliées, sur les gros chats que j'écrase, j'écris ton nom" crie-t-elle en faisant crisser les pneus, à l'instar des Séoudiennes tout récemment débridées sur l'asphalte de Ryad.

Côté inconvénient, on trouve le diesel, connu pour émettre des particules tellement fines que leur détection n'est que toute récente. Ce carburant a mauvaise réputation dans la vallée mais aussi dans certaines villes allemandes qui commencent à interdire leur circulation. Mais, mais, mais le jeune âge du véhicule lui permet de respecter la norme Euro5 (la dernière est l'Euro6). Par ailleurs, il semblerait qu'en fait, les véhicules à essence émettent en fait encore plus de particules fines que le diesel... Info ou intox? Bah, de toute façon, tous les futurologues sont d'accord pour dire que dans 20 ans, il n'y aura plus que des véhicules autonomes et des taxi-drones électriques. La génération d'avant l'internet est aussi la dernière à polluer pour se déplacer!

G est naturellement très content de montrer l'Espace à son équipe du 2 juin, composée de R qui prépare son long voyage à pied (mais non par la Chine), de E toujours aussi princier, et du jeune et désargenté A. Après un voyage agréable de silence et de confort, les ouvriers partent à l'attaque. Objectif: la porte et la fenêtre de la cuisine. Ensuite, il faudra procéder à un rangement et nettoyage méthodiques pour accueillir les invités ayant le sens de la fête. A est rapidement équipé d'une débroussailleuse pour tailler les hautes herbes, orties, bambous et ronces qui sortent de tous les côtés.

Pendant ce temps, R, G et E s'emploient à démonter la lourde porte de la cuisine à coups de massette. La même technique est appliquée pour sortir les gonds rouillés. En effet, la porte ne peut pas être délogée de ces derniers, car elle vient buter contre le linteau. Plusieurs bons coups de massette seront nécessaires pour faire céder ces pièces récalcitrantes. Les parties métalliques qui dépassent du mur sont ensuite découpées à la meuleuse.

Pendant que G nettoie la pierre recouverte de mousse isolante, R et E triangulent le chambranle afin d'éviter qu'ils ne viennent à subir une quelconque distorsion pendant la pose. L'expérience aidant, et pour éviter que la pierre ne casse, les trous pour les vis sont réalisés à la perforatrice légèrement en biais les éloignant ainsi du bord plus fragile de la pierre. La rectitude du chambranle est contrôlée au niveau et la petite bulle envoie la petite bulle de son aval.

C'est ensuite au tour de la fenêtre qu'il faut préalablement enlever de son logis. Toutes les vis sont rouillées et recouverte d'une couche de peinture qui empêche une bonne prise du tourne-vis. Le plan A (comme Attila) doit donc être mis en oeuvre. Il consiste en l'arrachage sauvage et violent de l'ancien bois, pour lequel tous les outils disponibles sont utilisés, massette, pied-de-biche, meuleuse d'angle, tournevis, etc. Malheureusement, le bois est de type exotique et l'arrachage est loin d'être chose facile. Mais patience et longueur de temps font mieux que force ni que rage. Lentement mais sûrement, tout excédent ligneux est débarrassé du cadre.

La chaleur s'installe gentiment et le jeune A fait des passages fréquents à la cuisine pour se ré-hydrater. La débroussailleuse cale souvent, donnant l'occasion de faire des petites pauses réparatrices. R lui propose de passer plutôt la tondeuse, ce qui donne à A des allures de jeune bourgeois installé dans son petit jardin. Il lui manque juste une femme, un chien et deux enfants pour compléter le tableau.

Du côté extérieur de la fenêtre, il y a des vilains barreaux qui donnent l'impression d'une cuisine de pénitencier. R propose de les couper. Une première découpe est réalisée à la meuleuse à 10 centimètres de hauteur, et le regard retrouve enfin sa liberté sur la route des Bragades ("Sur les thuyas dénudés, sur le tuyau d'arrosage, sur l'éphèbe dénudé, j'écris ton nom").

Le disque de la meuleuse arrive cependant en bout de course, et il n'y a pas de réserve. Un inventaire rapide est fait de tout le matériel manquant, y compris pour les grillades du soir et la direction de Bonneville est prise pour se restaurer.

Seuls des Bosniaques peuvent commander une bavette d'aloyau sachant que 90% du repas du soir sera composé de viande. Il y a certainement un marché de niche à explorer pour le véganisme dans la poche de Bihac.

Ils sont surpris de rencontrer au Richemont le couple de vétérinaires avec qui G taille une petite bavette heureusement très métaphorique pour lui. "On a amené Élégance pour manifester notre soutien à l'éleveuse de chevaux qui se les est fait séquestrer pour maltraitance! N'importe quoi! Tout ça parce que les chevaux dormaient dehors! Tout le monde sait que c'est juste le proprio qui veut récupérer le terrain!" G se dit qu'effectivement, Equus Caballus a tout de même passé quelques millions d'années à coucher dehors, sans que cela le rende mauvais coucheur. Après un passage aux toilettes, G constate que la prédiction de R est réalisée. Il ne peut plus regarder un carrelage sans noter tous les défauts de pose ou d'étalement du joint. Il remarque aussi combien le lavabo est peu commode à l'utilisation, ayant sacrifié sa fonction au design.

Au Mr Bricolage, ils achètent des vis, des embouts, des tampons, des disques, du matériel de nettoyage, et bien sûr une grille et du charbon de bois. L'équipe bosniaque s'attarde quelques minutes à discuter devant les cochons d'Inde, mais il est difficile de comprendre si l'intérêt relève de l'empathie ou de la gastronomie.

L'après-midi, la répartition des tâches est inchangée. A continue de rendre le jardin fréquentable, pendant que R, G et E tentent d'enjoliver la cuisine avec la nouvelle combinaison de porte et fenêtre. Grâce au nouveau disque, les segments de barreaux de fer sont coupés à ras de la pierre. Il ne reste plus qu'à poser la nouvelle fenêtre. Pendant que R et E s'activent sur le cadre, G a reçu pour ordre de déplacer l'établi du salon et de ranger le capharnaum qui s'est formé entre les outils, les matériaux et la poussière.

A semble faire peu de progrès contre la muraille de bambous, ronces et orties à la limite du jardin avec la débroussailleuse, alors G l'équipe d'une faux pour une première coupe manuelle. Le pauvre jeune a cependant les paumes fragiles et des cloques ont vite fait de rendre ses mains douloureuses et hors d'état. Heureusement, les adultes spécialisés en bobologie rendent les mains à nouveau vaguement opérationnelles avec moult sparadraps.

Mais la faux n'aura pas fait long feu. Le manche se casse. G propose alors à A de couper les bambous sur le talus à la débroussailleuse. La tâche est rendue ardue par les baskets très chics mais très glissantes du jeune étudiant. Elle est ensuite rendue impossible quand la tête de la débroussailleuse se casse et une pièce disparaît dans la nature. G n'est pas très content de la qualité de cette débroussailleuse qu'il a déjà dû amener à réparer.

Mais le soir tombe très vite et les invités approchent. Alors un grand nettoyage est organisé pour que tout soit rutilant. Les premiers convives arrivent à 18h00 et la visite des lieux est organisée pour chaque nouvel arrivant. Ensuite, la soirée dégénère dans le tumulte des bacchanales où d'insanes volumes de viande, de vin, de bière et de haschich, sont consommés sous la lune gibbeuse et les rayons roses du couchant.

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